Regards croisés entre les compositeurs d’aujourd’hui et la musique de Brahms par Agnès Pyka et Laurent Wagschal

06 Avril 2021 | Classic Agenda

Agnès Pyka et Laurent Wagschal ont récemment sorti un disque intitulé Brahms aujourd’hui. Classicagenda a interviewé Agnès Pyka pour en savoir plus sur ce projet mettant en avant des compositions contemporaines.


Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Pour commencer, cela fait longtemps que nous interprétions les 3 sonates de Johannes Brahms pour violon et piano avec le pianiste Laurent Wagschal. Il nous a semblé alors intéressant de voir comment des compositeurs de notre temps, Philippe Hersant, Nicolas Bacri et Graciane Finzi pouvaient travailler sur ces œuvres du répertoire et comprendre comment ils ressentaient la musique de Brahms.

À la Ferme du Buisson, où l’ensemble est en résidence, ce projet s’est articulé autour de trois concerts. Chaque concert avait pour objectif de mettre en avant une sonate de Brahms et en regard, l’œuvre du compositeur associé. Pour expliquer sa démarche musicologique, chaque compositeur est venu présenter son œuvre au public.

Lors de la création de ce projet, le dialogue avec les compositeurs a été extrêmement riche. En effet, chacun avait sa sensibilité et son interprétation propre des sonates de Brahms mais réagissait aussi à notre interprétation, faisant ainsi progresser le travail d’écriture.

 

Pourquoi avez-vous fait appel à plusieurs compositeurs ?

Tout d’abord, les compositeurs auxquels nous avons fait appel ici ont chacun une écriture de sensibilité romantique en quelque sorte, bien que d’esthétique contemporaine, ce qui m’a semblé approprié pour mettre leurs œuvres en regard des sonates pour violon et piano de Brahms.

Ensuite, cela nous a semblé être une grande chance pour le public de pouvoir rencontrer simultanément sur scène trois grands compositeurs d’aujourd’hui pouvant témoigner de leur expérience d’écriture.

 

Pouvez-vous nous parler des passerelles possibles entre ces œuvres, ces créations et les sonates de Brahms ?

Le disque s’ouvre par Regenlied écrit par Philippe Hersant. Dans cette composition, Philippe Hersant rend hommage à la première sonate opus 78 (nommée Regensonate). Dans l’œuvre de Brahms, la musique tzigane et ses sonorités ont toujours eu une importance particulière (par exemple le rondo alla zingarese dans le quatuor avec piano en sol mineur opus 25), éléments que Philippe Hersant a utilisé dans sa pièce notamment dans la longue cadence du violon qui ouvre la pièce.

Nicolas Bacri, dans sa sonate « in Anlehnung an Brahms », s’est inspiré de l’écriture formelle de la deuxième sonate opus 100 de Brahms, reprenant la devise de Joseph Joachim Frei aber einsam (libre mais seul) qui servira à Schumann, Dietrich et Brahms  pour  la Sonate  F.A.E., et la fusionnant avec celle de Brahms, Frei aber Froh (libre mais heureux). Ce qui donnera le motif principal de l’œuvre : Fa, La, Mi, Fa dièse.

Quant à Graciane Finzi, elle a choisi de travailler sur la dernière sonate opus 108 de Brahms. Dans Winternacht, Graciane Finzi reprend des fragments de thèmes de la sonate de Brahms. Son principe ? Extraire une cellule mélodique, la contracter ou au contraire l’étirer, la renverser, en quelque sorte la dénaturer, modelant le matériau musical suivant ses envies et son inspiration. La musique de Graciane est très libre et met en avant de nouvelles couleurs sonores.

 

Quels genres de passerelles comptez-vous créer avec les projets proposés par l’Ensemble Des Équilibres ?

Créer des passerelles entre les différentes formes d’arts me passionne. À travers d’autres projets, j’ai eu l’occasion de faire le lien entre musique classique et musique afro jazz, j’ai aussi travaillé avec des danseurs contemporains comme Shiro Daïmon ou Michèle Anne De Mey.

Actuellement nous travaillons sur un projet pluridisciplinaire « Une nuit transfigurée » où nous chercherons à faire se rencontrer peinture, musique et vidéo. De manière plus globale, l’Ensemble Des Équilibres veut ouvrir la musique classique au grand public et mettre en perspective les différentes esthétiques ou disciplines artistiques. Nous développons aussi un projet pédagogique avec Graciane Finzi pour permettre une meilleure accessibilité de la musique aux collégiens, autour de son projet « jeux de cordes ».

Enfin, l’Ensemble Des Équilibres est un ensemble à géométrie variable. Il peut ainsi s’adapter à tout type de demande de création. Cette flexibilité permet aussi de voir l’ensemble comme un laboratoire d’idées musicales et donc d’échanges musicaux et humains.


Comment avez-vous pu mener ce projet malgré les circonstances difficiles pour les artistes dues à la crise sanitaire ?

Nous avons profité du temps occasionné par le premier confinement pour travailler et enregistrer l’album. L’Ensemble des personnes impliquées dans ce projet s’est montré très réactif à ma proposition. Ce soutien nous a permis aussi de réaliser un teaser/making of de l’album. Les compositeurs étaient présents lors de l’enregistrement ce qui est une chance rare.

Avec ce disque, j’ai souhaité faciliter l’accès à la musique de notre temps.

 

Qu’envisagez-vous de faire par la suite si la situation vous le permet ?

Nous avons plusieurs projets. Un concert de sortie de disque « Brahms aujourd’hui » à l’Institut culturel russe. Un projet intitulé « La classe américaine » qui vise à mettre en valeur des œuvres des compositeurs Erich Korngold et Bryce Dessner (musique répétitive), coproduit par la Ferme du Buisson. Un enregistrement solo avec des œuvres de Jean–Sébastien Bach (Deuxième partita), d’Aram Khatchatourian (Sonate monologue) et de Thierry De Mey (Passacaille et variations). Le disque se nommera « Voyage avec un violon seul » et la sortie est prévue en septembre 2021, toujours sous le label Klarthe.

Un projet « Sensibilité à la Française » avec la compositrice Florentine Mulsant (quatuor à cordes et duo violon alto) coproduit par la Ferme du Buisson.

Au mois de juin, nous devrions aussi remettre Mieczyslaw Weinberg à l’honneur au Centre spirituel et culturel orthodoxe russe de Paris et à l’Hôtel de Soubise, aux archives nationales. Des concerts en duo violon/violoncelle sont aussi prévus tout le long de l’été, ainsi que notre participation à de nombreux festivals si le contexte sanitaire le permet. Une tournée à Malte est aussi en cours d’organisation ainsi qu’en Suède et en Russie.

Pour terminer, le projet pluridisciplinaire « une nuit transfigurée » devrait être créé en fin d’année à la Ferme du Buisson. En collaboration avec le peintre David Thelim et le vidéaste Baptiste Klein, il mettra à l’honneur les compositeurs Schoenberg, Zemlinsky et Finzi.