Agnès Pyka : retour au disque avec Dimitri Vassilakis et les sonates pour violon et piano de Mieczysław Weinberg

27 Février 2020 | Classic Agenda

par Charles-Marie Hulot

Considéré comme l’un des plus grands compositeurs soviétiques du XXe siècle, Mieczysław Weinberg (1919-1996) semble néanmoins avoir été éclipsé du cercle des grands compositeurs russes aujourd’hui (Tchaïkovski, Stravinski, Chostakovitch). Auteur d’un catalogue monumental (plus de 500 compositions dont 150 avec numéro d’opus), il laisse pour le violon des concertos mais aussi six sonates avec piano. La violoniste Agnès Pyka, accompagnée du pianiste Dimitri Vassilakis, a enregistré les sonates 4 à 6 dans les studios de Meudon. Classicagenda est allé rencontrer ces deux artistes avides de découvertes musicales.

Pourriez-vous nous raconter vos parcours respectifs ?

A. Pyka: Niçoise d’origine, j’ai décidé de fonder l’ensemble Des Equilibres dans le sud de la France à Marseille. Au départ, j’ai fait mes études au conservatoire de Nice avant de partir à l’étranger. Tout d’abord en Italie dans une école européenne, Scuola di Alto Perfezionamento Musicale. Puis je suis allée à l’Académie Liszt à Budapest. Pour terminer, j’ai fait un troisième cycle spécialisé à l’université de Toronto au Canada. De retour en France, je suis retourné rapidement dans le sud ou j’ai créé l’ensemble Des Equilibres.

En effet, de tout temps j’ai été passionnée de musique de chambre. Plus encore, lors de mon expérience au Canada, j’ai rencontré des musiciens au parcours différents de ceux rencontrés en France. En effet, je me suis vite rendu compte de la polyvalence de certains artistes, capables de faire aussi bien de l’orchestre, du solo, de la musique de chambre et de lier différents domaines artistiques.

C’est pourquoi, j’ai eu envie de créer un groupe dans lequel plusieurs types de personnes pouvaient se rencontrer, d’où l’explication de l’ensemble à géométrie variable. Spécialisé dans le répertoire du XXe siècle, Des Equilibres a pour vocation de faire découvrir le répertoire classique à des personnes qui n’en écoutent pas tous les jours.

D. Vassilakis: Je suis né à Athènes en Grèce et ai commencé le piano à l’âge de sept ans. Vers mes dix-huit ans, je suis arrivé à Paris et suis rentré au Conservatoire Supérieur National de Musique et de Danse où j’ai poursuivi mes études. A l’issue de celles-ci, j’ai eu une opportunité d’embauche pour la place de pianiste soliste dans l’ensemble intercontemporain de Pierre Boulez. Ayant eu ce poste, j’ai eu le plaisir de travailler avec ce compositeur pendant deux décennies environ. Actuellement, je suis encore membre de cet ensemble.

Par ailleurs, j’aime faire beaucoup de projets, c’est-à-dire aussi bien être membre régulier d’un ensemble que faire de la musique de chambre ou bien donner des récitals en solo. J’adore cette diversité et je trouve que chaque activité peut nourrir un autre projet. Ceci me rend vraiment très heureux et j’y trouve ainsi un excellent équilibre.

 

Quelles pourraient être les principales caractéristiques de l’ensemble Des Equilibres ?

A. Pyka : Tout d’abord être spécialiste de la musique du XXe siècle. Par ailleurs, cet ensemble souhaite pouvoir décloisonner la musique classique en allant à la rencontre d’autres esthétiques notamment en faisant des projets avec Ray Lemane, ou encore autour de musiques afro-jazz. Mais nous avons aussi fait des tournées avec des musiciens algériens, avec des musiques franco-algériennes. Mais aussi un projet avec Fazil Say. Il y a donc toujours une pluridisciplinarité dans les projets de l’ensemble (travailler avec des danseurs par exemple). Mais aussi, nous souhaitons faire découvrir ou redécouvrir des compositeurs qui sont oubliés comme Albéric Magnard (avec sa magnifique sonate pour violon et piano) ou encore des compositeurs comme Cras, Bonnal. Cela au gré des découvertes et des rencontres, particulièrement à l’étranger (car nous travaillons beaucoup à l’international). L’ensemble cherche donc à être en permanence en mouvement et je souhaitais qu’il puisse se différencier des excellents trios et quatuors qui existent déjà dans le milieu de la musique classique. Cela implique donc de nouvelles possibilités de rencontres avec des compositeurs contemporains (création de pièces pour l’ensemble).

 

Pour quelles raisons avez-vous décider d’enregistrer les sonates de Weinberg? Et pourquoi ce compositeur?

A. Pyka: Je connais mieux le répertoire des compositeurs d’Europe de l’est car j’ai été immergée durant six ans à Budapest. Le hasard de la vie a fait que je me suis retrouvée jury dans un concours international en Allemagne où l’un des participants jouait la première sonate de Weinberg que j’ai découverte. Par la suite, je me suis renseignée sur les sonates pour violon de ce compositeur et j’ai constaté que celles-ci n’avaient été enregistrées que par des musiciens russes. Je voulais ainsi graver ces œuvres car les enregistrements antérieurs n’étaient plus disponibles et je souhaitais donner ma propre vision de ces sonates pour violon et piano.

Je voulais développer une sensibilité vis-à-vis des sonates pour violon et piano, aspect que je n’avais pas, à mon sens, trouvé dans les précédents enregistrements. Je trouve par ailleurs cette musique incroyable et cela concorde avec l’esprit développé avec l’ensemble Des Equilibres.

D. Vassilakis: Ce sont des sonates que l’on commence seulement à découvrir en Occident. Jusqu’à présent, je ne connaissais de ce compositeur que la cinquième sonate, que nous avons enregistrée. En effet, Gidon Kremer l’a jouée fréquemment avec Martha Argerich. Comme j’ai beaucoup d’admiration pour ces deux interprètes, je vais régulièrement les écouter. Grâce à ce projet Weinberg que nous avons entrepris avec Agnès Pyka, j’ai découvert aussi un immense catalogue de pièces pour piano seul. Du temps de l’Union soviétique les œuvres de Weinberg étaient jouées par les plus grands pianistes du XXe siècle. Malheureusement, sa musique mit beaucoup de temps à franchir le mur et à nous parvenir. Le public commence à découvrir ce compositeur extrêmement prolifique (plus de quatre cents œuvres écrites en symphonies, concertos, musique de chambre…).

 

Quelles sont vos impressions en enregistrant ces sonates? Qu’avez-vous ressenti comme émotions particulières?

A. Pyka: Pour un violoniste, travailler et enregistrer Weinberg passe par une recherche approfondie d’un son. Il faut une pâte sonore très particulière pour interpréter ces œuvres : ceci demande du temps, car elle est difficile à trouver. Pour moi, il est plus simple d’interpréter Prokofiev. Il y a donc une recherche instrumentale qui passe par une sensation physique (poids de la musique, longueur des phrases, son qu’il faut pour que cela fonctionne). Il n’y a pas de spontanéité dans sa musique : c’est du moins ce que j’ai découvert en travaillant ses œuvres.

 

Vous avez décidé d’enregistrer les sonates en deux volumes séparés n’est-ce pas?

A. Pyka: Tout à fait. J’avais réalisé le premier disque avec Laurent Wagschall.

 

Quelle est la place de ces sonates dans l’oeuvre de Weinberg ?

A. Pyka: La quatrième sonate a été écrite en 1943. Selon moi, il est possible de reconnaître l’impact de la guerre. En effet, sa famille a été assassinée par les Allemands. Il est le seul à échapper à ce drame et fuit vers la Russie. Dans la quatrième sonate, on entend ce désespoir, et cette course dans le premier mouvement où il cherche quelque chose. La fin est un peu une valse fantomatique où il dit adieu à un monde qui n’existera plus jamais

D. Vassilakis: Un paradis perdu car il y a une longue et lente introduction. Puis il y a une dure réalité dans la partie centrale. Il y a une sorte de combat, de résistance dans cette quatrième sonate.

Le contexte est encore différent dans la cinquième et la sixième sonate. Pour faire jonction avec le volume précédent, je dirais qu’à partir de la troisième sonate, on a vraiment le langage propre à Weinberg (ses couleurs sonores, ses phrases déchirantes). Il me semble que la première est une sonate de jeunesse qui a des côtés très classiques. Dans la deuxième, Weinberg cherche encore sa voie. A partir de la troisième sonate, il maîtrise pleinement son langage.

La cinquième sonate, qui date de 1953, renvoie à l’époque à laquelle il est arrêté. Il est accusé de conspiration contre le régime et c’est Chostakovitch qui le sauve, ce qui explique pourquoi cette sonate lui est dédiée. C’est de loin celle qui est la plus aboutie ce qui explique le fait que Kremer la joue régulièrement. En effet, cette sonate est totalement en équilibre, en dialogue avec les musiciens: c’est une vrai merveille qui mérite d’être plus jouée.

 

Quels seraient vos prochains projets musicaux ?

A. Pyka et D. Vassilakis : Nous partons en Egypte. On va y jouer Beethoven, en raison de l’anniversaire, et Saint-Saëns, avec un trio rarement programmé. On essaie de trouver, au sein de l’ensemble Des Equilibres, des pièces qui soient un peu moins jouées que d’ordinaire. Après nous partons en Tunisie pour un autre programme.

Par ailleurs, l’ensemble est en résidence à la ferme du Buisson à Noisiel. Il y a un projet autour de créations contemporaines. Nous avons aussi d’autres idées… Au moins de juin nous rejouerons Weinberg !

 


A noter : à l’origine, Agnès Pyka et Laurent Wagschal, de l’ensemble Des Equilibres, souhaitant réhabiliter des œuvres méconnues, ont décidé d’enregistrer l’ensemble des sonates de Weinberg. Pour célébrer le centenaire du compositeur, Agnès Pyka (violon) avait d’ailleurs gravé en 2018 les trois premières sonates de Mieczysław Weinberg avec Laurent Wagschall (piano). Celles-ci avaient été, à l’époque, chaleureusement saluées par la critique.

Site de l’ensemble Des Equilibres : http://www.desequilibres.fr/

Critique des premières sonates pour violon et piano de Weinberg par l’ensemble Des Equilibres: https://www.resmusica.com/2018/10/11/premieres-sonates-de-weinberg-par-lensemble-des-equilibres/

Centre Tchèque: https://www.institutpolonais.fr/objects/scene/mieczyslaw-weinberg—sonates-n–4–5–6-par-l-ensemble-des—quilibres-2260.html

Compositeurs négligés: https://www.physinfo.org/chroniques/weinberg.html

M. Weinberg: The Composer and his music: http://www.music-weinberg.net/

Weinberg Society: http://www.weinbergsociety.com/index.php?article_id=16&clang=2

Discographie Weinberg: http://www.musiques-regenerees.fr/Vainberg/WeinbergDiscographie.html